Evelyne Girardon: indémodable modalité…

Beline dans ses oeuvres...
Beline dans ses oeuvres…

Ca commence comme un conte de notre enfance: il était une fois … une civilisation disparue!

Une civilisation où l’on était paysan (on ne disait ni agriculteurs ni ruraux…), où l’on se retrouvait en famille, ou mieux encore par village entier, pour le travail, la messe, la fête ou la veillée… Une civilisation ou l’on chantait, partout et tout le temps, et où le chant avait une fonction: chant de travail, à danser, de mariage, de conscrit, de séparation… Un chant populaire de tradition, (la tradition n’était pas synonyme de ringardise!), où l’on chantait dans sa langue, en suivant son propre mode, en rajoutant ses ornements, sans se soucier de la justesse des intervalles ou de la pertinence de l’ornementation…

Où, vous demandez-vous? Au fin fond des Balkans, dans l’Italie du Sud, chez les touaregs…?

Non, en France, jusqu’au début des « Trente glorieuses ». Oui, dans notre hexagone, aujourd’hui si « mondialisé », c’est à dire atlantisé, inondé de musique anglo-saxonne, il y a peu, on chantait encore des chants traditionnels, et on aimait ça!

C’est cette civilisation, et son patrimoine musical, qui passionne Evelyne Girardon, chanteuse et « passeuse». J’ai eu la chance de suivre un stage avec elle au mois de Juillet au Puy-en-Velais, dans le cadre du festival Les Nuits Basaltiques. Une rencontre, et une révélation.

La musique folk, c’est pour les babas!

D’abord, je dois faire amende honorable: j’allais à ce stage pleins de préjugés! Pour moi qui ai été ado à la fin des années 70, la musique folk (c’est comme ça qu’on disait), c’était la musique des baba cools, en sabot, chemise à carreaux et gilet tissé, ça sentait la sueur, le tabac à rouler (froid!) et le passé… Paradoxal, pour un amoureux des musiques « du monde »? Ben oui, le monde des musiques traditionnelles s’arrêtait aux frontières de l’hexagone… Ou plutôt à la frontière de la langue d’Oïl, car mon travail avec les polyphonistes occitans (La Malcoiffée, Le Choeur de la Roquette), et ma découverte du Cor de la Plana, puis de Du Bartas avait déjà fait tomber pas mal de mes réticences.

Or, j’ai trouvé là des passionnés, de tous âges, (oui, pas mal de « rescapés » du mouvement folk, mais aussi des très jeunes!), ravis de m’accueillir dans la communauté de la musique traditionnelle française et de m’initier, tant aux aspects musicaux qu’aux danses. Pas rebutés par mon ignorance crasse des pas de la Bourrée ou de la Mazurka, ils m’ont guidé avec patience et humour. Oui, je l’avoue, j’ai pris grand plaisir à danser la polka (pas trop dur!),ou la Chapeloise (danse de groupe très marrante, où l’on change de partenaire toute les quatre mesures). Tout le monde danse, toute générations mélangées, si tu es tout seul, on vient t’inviter, ça dure jusque tard dans la nuit, (mais il n’y a pas de viande saoûle), c’est gai et convivial. Autre surprise, ces trois soirées bal-concert, animés par des groupes live (La Machine, Ciac Boum, ou les très étonnants Astoura, qui mélangent avec talent les instruments emblèmatiques du genre, cornemuse, vielle à roue et violon, avec des ambiances et des rythmes électro), sont aussi venu à bout de mes réticences sur cette musique et son instrumentarium…

Evelyne Girardon: loin de la mode, vers le mode…

Venons-en à ce qui me motivait avant tout: le stage de chant avec Evelyne Girardon. Evelyne, dite Beline, elle est tombé dedans quand elle était petite! Sa mère, ukrainienne lui en a communiqué la passion. Depuis toujours, elle creuse le sillon des musiques traditionnelles, compagnonnant avec des chanteurs (Erik Marchand, Beniat Achiary) des musiciens ou des comédiens, créant ses propres formations (dont le légendaire Roulez fillettes, spécialisé dans la polyphonie traditionnelle en français, qui inspira tant de vocations artistiques), et transmettant sa passion dans de nombreux stages et structures de formations. (lire sa bio complète ici).

Son stage commence comme elle vit: en chantant! Pas de tour de table, de longue présentation, de round d’observation: on commence par la transmission, a capella, et sans papier, d’une des nombreuses versions du Rossignolet des bois. Le ton est donné: dans les stages d’Evelyne, on chante d’abord, en rythme, avec les ornements et les échelles si particulières qu’elle maîtrise si bien, et ensuite, on discute! C’est d’abord son talent de chanteuse qui vous initie (en vous déroutant parfois!), puis son travail de chercheuse qui vous rassure en vous expliquant les choses.

Pourquoi déroutant? Parce que ce répertoire est majoritairement modal, c’est-à-dire bâti sur une échelle non-tempérée, avec des intervalles inhabituels pour nos oreilles formées à la musique tonale, et à la polyphonie par tierce. Pour faire simple, la musique modale ne suit pas les gammes majeures ou mineures, et « n’adoucit » pas les intervalles, comme le fait la musique harmonique. Les hiérarchies de la musique classique (la quinte note pivot, la tierce qui colore l’accord, la sensible qui prépare la cadence…) n’existent pas, remplacées par une succession d’intervalles variable. Cela sonne donc à nos oreilles rude, voire fruste, mais ouvre des possibilité de polyphonie infinies et exaltantes (extrait). Pour être franc, pendant 24 heures, j’ai eu l’impression de chanter faux en permanence, avant de « recaler » mes sensations!

Mais ensuite, quel plaisir! Plaisir d’un répertoire oublié, aux thèmes certes rustiques, mais ni plus ni moins que dans les chants des Balkans ou de la péninsule italienne! Des histoires de filles que l’on trousse dans l’étable, de rossignolet qui chante toute la nuit, de l’humour, et de la poésie.

De la monodie, principalement, mais Evelyne s’est depuis longtemps attachée à construire des polyphonies qui respectent le caractère modal de cette musique, et rajoutent sans dénaturer la matière de ces chants.

Un monde nouveau…

Bilan de l’opération: je suis totalement séduit par cette musique (même si pour le gourmet des voix que je suis, un travail sur le timbre m’a un peu manqué), et très désireux de poursuivre mon initiation. Je retournerai travailler avec Beline, c’est sûr, et … danser les cercles circassiens! Une première occasion sans doute, en Janvier: j’y animerai un stage à Couzon Mont-Dore, à la demande de l’association Le Bec à son. Des infos plus précises bientôt.

Et puis, il me reste à découvrir le monde celtique, ça tombe bien: il est à ma porte, en Haute-Bretagne, et plus encore en Basse…

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