
Les voix des musiques populaires (féminines en particulier) seraient-elles en train de s’aseptiser, de se peau-lisser? Il y a un risque, oui! La faute au marché, au patriarcat … et aux pédagogues! Rien que ça… Parti pris.
Au début était le Verbe … et la Chair!
Alors voilà : j’aime le Figatellu corse, le tripoux rouergat, la prune du père Boyer à 70°, l’andouille de Guemené (prononcer Guem’né)…. J’aime pas trop les bonbons, les desserts, les sucreries…J’aime les vins nature, avec leurs « défauts », les bretts, le volatil, le gaz, moins les vins standardisés… J’aime mêmes certaines odeurs corporelles, tellement traquées dans notre société du sent-bon…
Et surtout, j’aime les voix avec des goûts de terre, de sous-bois, de cuir, les voix brutes, populaires,rurales, fermières même ! J’aime quand ça sent la sueur du travail, le sel de la mer, l’acide de la vendange, le musc de la chambre à coucher…
J’aime quand c’est rugueux, accidenté, troué même…
J’aime quand ça toile-émeri, quand ça papier-de-verre, quand ça lame-de-couteau, quand ça muscadet-sur-la-langue… J’aime quand ça hors-des-sentiers-battus, quand ça bartasse, quand ça hors-piste, quand ça chemins-de-traverses… J’aime quand ça ahane, quand ça stridule, quand ça grogne, quand ça frotte, quand ça hors-d’haleine, quand ça à-bout-de souffle, quand ça hoquète, quand ça trémule, quand ça ondule, quand ça hors-de-contrôle…
Alors, au risque de passer pour un daron, et de sembler marquer contre mon camp (celui des pédagogues de la voix), je vous le dis : ras-le bol des voix sucres d’orge, des voix blondes mentholées, des voix rhum arrangé, des voix qui sentent le savon, des voix calibrées, maîtrisées, polies, policées, caressantes, charmantes, séduisantes, enveloppantes, réconfortantes !
Je l’avoue, j’ai adoré Franck Sinatra, et Yves Montand, et Carlos Gardel, tous ces crooners merveilleux. Et Whitney Houston, et Mariah Carey, et Céline Dion. Mais ce n’est plus ça qui me fait vibrer aujourd’hui. J’ai envie de voix plus roots, qui respirent l’incarnation, le dehors, la grand large, l’effort, le sauvage, le non policé….
Bien sûr, ne pas se blesser ni se fatiguer ni se planter est essentiel. Bien sûr, un geste vocal ressenti, analysé, répété, permet d’exprimer au mieux ce que l’on a à exprimer. Bien sûr qu’une technique vocale solide permet de porter plus confortablement, plus efficacement, plus longtemps, sa Parole. Encore faut-il que cette parole reste incarnée, et pas exagérément stylisée !
La Parole, c’est la chair ! C’est le Grain de la Voix comme dit Barthes, c’est à dire un courant d’air orienté par la pensée, certes, mais qui se sonorise en rencontrant de la muqueuse, de la dent, de l’os, de la morve, de la salive, les parois et excrétions du corps des chanteur·euses ! Et comme personne ne possède les mêmes circonvolutions intérieures, aucune voix ne se ressemble. Et puis, c’est la volonté de Dire qui doit guider la Voix, pas l’envie de dire bien ou joliment…
Vers une uniformisation des voix?
Ecoutons les émissions de télé-réalité : à quelques exceptions près, le même timbre, les mêmes cascades de « vibes », les mêmes performances vocales, éblouissantes parfois, mais tellement creuses souvent ! Faites l’éxpérience : écoutez Diamonds de Rihanna sur Deezer ou Spotify (je l’ai fait avec ma fille de 7 ans!), et laissez l’algorithme vous faire de nouvelles suggestions. Vous aurez l’impression d’écouter la même chanson à l’infini (pas désagréable, d’ailleurs!).
Regardons la scène « chanson française ». Je ne mentionnerai même pas la playlist France Inter, qui enchaîne à l’infini les mêmes voix souffreteuses et traînantes de parisien·nes déprimé·es. Ni ne reviendrai sur les couleurs vocales du rap et du RnB contemporain, qui, entre imitation scolaire des codes vocaux nord-américains, et l’utilisation systématique de l’auto-tune font que toutes les voix se ressemblent.
Je m’attarderai sur un exemple : la merveilleuse chanteuse Clara Ysé. Il y a quelques années, j’étais tombé sur le cul, pas d’autres mots, en écoutant son premier EP. Six chansons, six diamants bruts, dont l’indépassable « Le monde s’est dédoublé ». Tout y était : un texte brillant et poétique, une forme musicale originale et riche, et surtout une voix profonde, incarnée, avec des aspérités, des raucités, ET une grande agilité à la vocalise et aux changements de timbre. Pour être plus précis techniquement, une utilisation virtuose des changements de mécanismes laryngés, et des différentes qualités de voix mixte. Arrive en 2023 l’album tant attendu. Et là, même si l’émotion est toujours là, et les qualités réelles, ce constat : la voix a changé. Plus exactement, la texture vocale a évolué. Plus aérée, allégée, plus agile encore donc, mais moins incarnée, moins brute. Plus technique en somme. Que s’est-il passé ? Je soupçonne un·e prof·fe de chant d’être passé par là… P’t’êt’ même un·e prof·fe de chant classique…
Faisons enfin un détour par le jazz vocal… Aux grandes voix, pleines parfois de « défauts vocaux », mais riches d’une présence vocale tellement implicante pour l’auditeur·ice (et son corps!), ont succédé des voix dites « sensuelles, intimes, chaudes », qui susurrent d’insipides balades dans des micros omniprésents (j’te l’avais dit, chuis un daron!).
Et dans le trad aussi?
Parlons maintenant des esthétiques que je connais le mieux. Celle des musiques populaires de tradition et de création orale. Les musiques trad et du monde quoi ! J’entends de plus en plus de voix avec moins d’aspérités, de couleurs, de saveurs même… Des voix travaillées, certes, mais travaillées vers le lisse, le consensuel, l’aseptisé parfois. (Heureusement, il y a -plein- d’exceptions) !
Alors, bien sûr, l’invention de l’amplification, de la reproduction sonore, de la sonorisation, ont modifié les habitudes et conditions d’écoute, et donc les couleurs vocales. Plus personne ne chante a capella avec un big-band, ni dans des cours d’immeuble pour faire la manche, ni n’anime un bal populaire à la voix sans sonorisation (sauf Valérie Imbert!). Mais je vois surtout dans ces changements de couleur vocale -en particulier chez les femmes- la marque du triomphe des codes de la bourgeoisie capitaliste, du patriarcat, et de la « sur-pédagogie ». Je m’explique.
On peut voir dans cette « standardisation vocale » la transposition à la scène des musiques populaires de tradition orale d’un double ou d’un triple « soft power ». Celui du marché, d’abord, qui préfère le même au différent, la copie à l’original, le standardisé à l’hétérodoxe. Je parle ici des programmateurs, des directeurs artistiques de labels, des tourneurs même… Cette oligarchie culturelle, toute pétrie des codes de la bourgeoisie dont elle vient souvent, se méfie des vocalités non aseptisées, qui ont par le passé été, et sont encore parfois les porte-voix des cultures populaires. Elle a donc tendance à privilégier des voix plus consensuelles, plus vendables.
Et puis, je ne saurais omettre ici le poids du patriarcat sur la vocalité féminine en particulier, mais pas uniquement.
La voix des femmes? Une histoire d’hommes!
Les hommes se méfient de la voix des femmes, et l’apprécient autant qu’ils la redoutent. Pensons à Ulysse, qui se fait attacher pour ne pas succomber au chant des sirènes, pensons à l’interdiction des femmes de chanter à l’église, levée si tardivement. Observons l’attribution des rôles aux femmes dans l’opéra bourgeois du XIXème siècle. Aux soprani les princesses, aux mezzo soprani les femmes fatales, aux alti les servantes !
Prêtons à présent l’oreille aux codes non exprimés qui déterminent l’emploi des mécanismes laryngés dans le chant populaire. Jusque dans les années 50, tout est clair. Pour les femmes du peuple, la goualante en voix de poitrine, la voix des poissonnières. Pour les bourgeoises, la voix de tête, tellement plus distinguée ! C’est Mireille (« ce petit chemin… »), contre Edith Piaf, le XVIème contre Belleville ! Et puis, dans les années 60, un tournant. On se rend compte, grâce aux premiers panels et enquêtes qualitatives, que, si le corps de plus en plus dénudé des femmes est exploité depuis longtemps, leur voix grave aussi -dont la charge sexuelle est évidente- est un formidable moteur pour vendre ! Ce que l’on a rejeté si longtemps, au nom du « bon goût » devient un moyen de mettre en valeur des produits divers en les sexualisant ! Et en avant pour les voix d’aéroport, de blonde mentholée, d’abord dans la pub, puis dans la chanson, bien sûr, qui passe des mains des compositeurs dans celle des managers et autres directeurs artistiques ! On est passé de l’asexué de la voix aigüe à l’hyper-sexualisation de la voix grave. Mais tout ça ne répond qu’à une injonction : plaire aux hommes1 !
J’exagère ? Pas assez ! Combien de manageuses auprès des artistes féminines, de directrices artistiques dans les maisons de disque ? Combien de directrices de la musique à France Inter (de mémoire, Jean Garetto, Bernard Chérèze, Yves Bigot et aujourd’hui Didier Varrot ont occupé ce poste) ? Combien de programmatrices dans les SMAC ou dans les lieux de chanson française ? Et combien de programmatrices dans les lieux dédiés aux musiques traditionnelles ou du monde ?

Le trad aussi, c’est Bollocks Land à tous les étages ! Les lieux et festivals sont programmés par des hommes, les enseignants dans les écoles de musiques sont des hommes, les jurys de recrutement pour des formations sont quasi exclusivement masculins, les équipes de formateurs sont masculines (même si au sein au sein de la Kreiz Breizh Akademi ou Caminaires, un effort est fait pour féminiser les équipes, on est loin du compte). Et que dire des plateaux de musiques du monde ? Une enquête récente de la FAMDT a montré à quel point ils étaient encore hyper majoritairement masculins !
Saluons donc ici à leur juste valeur les parcours de Nathalie Marty (directrice de Sirventès) de Clara Diez Marquez (directrice pédagogique de la KBA), de Marie-Jo Justamond (créatrice et programmatrice des Suds à Arles), de Marthe Vassalo, d’Evelyne Girardon, de bien d’autres encore, mais soyons conscients qu’elles ne sont pas la majorité !
Pour revenir à notre propos, faut-il voir un rapport entre la domination masculine dans le domaine des musiques trads, et ce « lissage » des voix trads, en particulier féminines, que j’évoquais plus haut ? Ben, ce ne serait pas la première fois qu’une injonction non verbalisée influencerait le comportement des femmes ! « Chante grave mais chante lisse », après « sois belle et tais-toi » ? Ce serait sans doute exagéré de se limiter à cet aspect. Mais il ne fait pas doute que cette omniprésence masculine en haut de la pyramide, conjuguée avec la pression du marché, et l’évolution de la pédagogie, ait une influence sur les pratiques vocales contemporaines.
Pédagogie et « lissage » des voix
Quoi, la pédagogie ? Tu oses suggérer qu’il y a des voix trop travaillées, toi, le luthier des voix populaires ?!? Ben oui…
Oui, allons-y, mettons les pieds dans le plat. Depuis les années 80, et la révolution de la pédagogie du chant (dans le sillage des premières interventions du Prof. Richard Miller), une nouvelle génération de formateur·ices de la voix est arrivée. Plus informé·es des questions anatomiques et physiologiques, plus attentif·ves aux questions de style, de particularités vocales, plus ouvert·es aux expressions vocales non-classiques, et non-européennes. Citons le travail de Richard Cross, qui lance en 2000 la première formation de formateur·ices en musiques actuelles, ou Martina A. Catella, qui défriche depuis trente ans la question des vocalités traditionnelles et du monde. Mais iels ne sont pas les seul·es, évidemment.
Cette période a apporté de nombreux bouleversements… Fini le monopole du chant classique, qui prétendait détenir le secret de la « bonne technique ». On a pu accompagner des artistes des musiques actuelles d’abord, puis traditionnelles et du monde, vers le confort et l’efficacité en prenant en compte les particularité des pratiques vocales de ces musiques. Citons l’utilisation prioritaire du mécanisme I ou lourd et de la voix mixte, le maniement du vibrato comme un ornement et non une obligation, la place prépondérante du texte, donc des tessitures plus graves, la prépondérance des aspects rythmiques, de la prosodie, la prise en compte des aspects ethnomusicologiques : la fonction du chant, ses conditions d’exécution, sa typicité vocale et musicale , etc.

Cela a aussi permis aux artistes iels-mêmes de venir chercher des outils à même de les aider dans leur pratique quotidienne, sans avoir à modifier les tessitures, le timbre, la modalité, le style donc des musiques qu’iels pratiquaient. C’était formidable ! Terminé les préjugés et les préjugés dogmatiques, de part et d’autre, chez les prof·es comme chez les artistes ! Les un·es ont cessé de proférer que « la voix de poitrine c’est dangereux », les autres de penser que « aller voir un prof de chant, ça ne se fait pas dans les musiques traditionnelles, ça va changer ma façon de chanter »….
C’est grâce à ce changement de paradigme que j’ai personnellement eu la chance de travailler avec tant d’artistes formidables, et de les accompagner vers un geste vocal juste, c’est-à-dire qui permet à une pensée musicale, littéraire, politique, juste, de se déployer vers l’autre sous la forme d’une parole juste… Cela m’a passionné, et continue de me passionner. Comment combiner les exigences de projection, de tension, de surpression sous-glottique, dans les musiques de la tradition avec la nécessité de préserver la voix, son confort et sa durabilité !
Former sans déformer
Avec Richard Cross, j’ai appris comment chanter la pop ou la comédie musicale sans hurler en voix de poitrine et se détruire la voix ! Auprès de Martina A. Catella, j’ai appris et appris à apprendre comment chanter la pizzica ou le cante jondo ou les musiques tsiganes sans se faire mal, mais en respectant la vocalité propre de ces musiques.
Puis j’ai développé mes propres outils pour accompagner les artistes de la scène trad et « néo-trad », en particulier occitane et bretonne, dans leur démarche de création autour de ces esthétiques. Comment faire mieux, sans efforts, sans souffrances, sans faire le sacrifice de sa voix, comme dit Martina ? Comment tirer parti des collectages, sans les imiter ? Comment trouver une vocalité contemporaine pour chanter ces musiques venues de ou inspirées par le passé ? Comment chanter avec un corps des années 2020 des musiques venues des siècles précédents ? Sacrés défis, relevés avec passion, tâtonnements, maladresse parfois, mais toujours dans le respect des particularités vocales de chacun·e.
Enfin, depuis une dizaine d’années maintenant, j’ai entrepris de former à mon tour des passeur·euses de chant, et des prof·fes de chant spécialisé·es dans ces esthétiques. Avec cette exigence de chaque instant : si nous sommes des prof·fes, des coachs, des chef·fes de choeur, nous ne sommes pas des directeur·ices vocaux ni artistiques ! C’est à dire que notre travail, nos goûts, ne doit JAMAIS interférer avec, ni prendre le pas sur les choix artistiques des personnes avec lesquelles nous travaillons. Cela semble évident, mais ce n’est pas si simple de garder cette distance dans le feu de l’action, en répétitions, ou en studio avec les artistes.

Pour une nouvelle interaction pédagogique
Nous avons pour mission de faciliter, d’aider, d’orienter, mais pas de décider. Ce sont les artistes qui décident iels-mêmes de ce qui est bon, bien et beau à leurs yeux (ou à leurs oreilles). Donc, s’il y a de l’air sur la voix par manque d’accolement, s’il y a un serrage des bandes ventriculaires qui entraîne un engorgement du timbre, ou une surpression sous-glottique qui amène une prépondérance des harmoniques aigus, nous ne devons pas corriger !
Nous ne pouvons que :
- faire remarquer à la personne cet utilisation particulière
- l’interroger sur son choix (fais-tu exprès, est-ce indispensable pour le style, ou juste une habitude?)
- selon sa réponse, l’aider à supprimer cet effet, OU À LE PRODUIRE EN CONSCIENCE ET SANS DANGER.
Prenons l’exemple que je connais le mieux, la nouvelle polyphonie occitane. Comme il ne s’agit le plus souvent pas de tradition (sauf en Béarn ou en Bigorre), mais de création, on fait ce qu’on veut ! On peut s’inspirer des couleurs vocales de la tradition béarnaise, justement, avec beaucoup de twang, pas ou peu de vibrato, beaucoup de pression sous-glottique, en bref, de la projection « pure », mais apprendre à le faire sans se faire mal. On peut aussi choisir de colorer ces musiques différemment, mobiliser les ressources du travail vocal pour en faire des musiques plus complexes, avec une vocalité plus retenue, davantage de nuances, de couleurs de timbre. Ce n’est pas forcément ma tasse de thé, mais si je dois accompagner ce type de recherche, je le fais, pour trouver la justesse, le confort, l’efficacité…
En revanche, si, au nom de la santé vocale, je bannis les « défauts » des artistes avec lesquel·les je travaille, j’élimine les surpressions glottiques, je limite les harmoniques aigus, j ‘« arrondis » les timbres, je supprime des vibratos serrés ou trop larges, alors je participe à ce phénomène de standardisation, d’affadissement, de nivellement par le vocalement correct que j’évoquais plus haut. Prenons l’exemple de la paille, exercice inventé par Benoît Amy de la Bretèque, et diffusé très largement aujourd’hui. C’est un formidable exercice, qui vise à faire prendre conscience des pressions et contre-pressions expiratoires pour régler le débit d’air, et équilibrer les pressions sub et sus-glottiques. Il permet de préparer la voix de façon efficace et pratique. Oui, mais, quand on chante les musiques de la tradition, il n’est pas rare de provoquer À DESSEIN des surpressions, à des fins expressives et stylistiques.
Quels que soient les genres musicaux, l’outrance vocale existe, et est parfois indispensable. Que l’on pense au si bécarre de la mort de la Traviata de Verdi, qui n’est dans la version de Maria Callas à l’Opéra de Lisbonne, qu’un cri, que l’on évoque le timbre si plein de « défauts » de la reine des gitans, Ezma Redzepova, que l’on prête l’oreille aux ébouriffantes performances vocales de Laetitia Dutech, la voix la plus aiguë du groupe La Malcoiffée, on s’apercevra que l’exagération est parfois indispensable, parce qu’expressive.

Je ne peux refermer cet article sans évoquer une autre pression qui pèse sur la pratique vocale, c’est l’injonction à la justesse. Bien sûr que c’est mieux de chanter juste. Mais juste par rapport à quelle échelle ? Si l’on est dans le cadre des musiques modales, on peut se poser la question du tempérament. Qui a jeté une oreille sur les collectages a bien compris qu’il fallait lâcher sur les notions de justesse. Et même dans la musique tonale, certaines « faussetés » ne portent-elles pas leur part d’expressivité ? Pourtant, la tentation de les gommer est grande ! Et toute aussi grande est d’ailleurs la tentation de « brider » la voix pour la faire entrer dans le nouveau carcan de la modalité et de la micro-tonalité !
J’ose l’affirmer ici : l’injonction à la justesse, portée très souvent pas des hommes (qui s’affranchissent volontiers de cette exigence pour ce qui les concerne!), pèse comme une chape de plomb sur les voix, en particulier celle des femmes ! Pour chanter « juste », on contraint l’appareil vocal, on le domestique, on le contrôle, et donc on l’aseptise. C’est particulièrement vrai dans le jazz vocal, et la musique baroque, bien sûr, mais ça le devient également dans les musiques populaires. Je trouve passionnantes les recherches récentes autour de la micro-tonalité, mais elles ne doivent pas à mon sens aller contre le Graal des pratiques vocales : le confort et la liberté !
Ma conclusion sera brève,et en forme de slogan : « chanteuses (et chanteurs), formez-vous, mais ne vous laissez pas déformer, ou pire, conformer » ! C’est à dire utilisez les ressources du travail vocal comme des outils pour porter votre Parole plus loin, plus fort, plus efficacement, plus authentiquement, sans renoncer à vos particularités vocales, chérissez vos « défauts », (à condition qu’ils ne deviennent pas des lésions bien sûr). Qui est le·la meilleur·e directeur·ice artistique de votre voix ? Vous, bien sûr !
1Bien sûr que la voix masculine n’est pas insensible non plus aux injonctions sociales. Bien sûr, affirmer sa masculinité (!), laisser entendre sa féminité (re!) dans sa voix sont des recommandations qu’on entend. Mais les interprètes masculins me semblent bien plus enclins à faire la sourde oreille aux conseils vocaux qu’on leur donne, moins influençables !!!




