Alors, prenons les choses dans l’ordre: depuis des années, je rêvais de suivre un des stages que consacre la grande Lucilla Galeazzi, compagne de route de Giovanna Marini, au répertoire infini des chants populaires italiens. Mais, je rêvais aussi de suivre un stage de polyphonies sacrées sardes, que propose régulièrement Marina Pittau (photo) dans son village de Bosa, sur la côte occidentale de la Sardaigne. Aussi, quand j’ai appris que Lucilla ET Marina proposait un stage à Bosa, ET qu’il existait une liaison régulière par avion entre Nantes et la Sardaigne, je me suis dit que c’était une conjugaison de signes que je ne pouvais ignorer.
Me voici donc à Bosa, dans un cadre magnifique (voir photo supra), avec des camarades venus des Glotte-trotters, des élèves nantais, et surtout des italiens fous de chant, (mais ne serait-ce pas un pléonasme?) pour une semaine enchantée…
Le matin, chants traditionnels italiens avec Lucilla. dans un savant mélange d’érudition et de générosité, elle nous transmet en vrac sa passion du chant populaire, du répertoire venu des Pouilles et de Lombardie, et tous les éléments pour les chanter dans le respect de la tradition (si c’est pas un zeugme, ça!!!). Puis, repas (ah, la pasta all’frutti di mare, les poissons qu’on te montre sur un plateau encore frémissant, les antipasti…), et plage, une mer de carte postale… C’était déjà pas mal…
Mais ce n’est pas fini! Pour souhaiter la bienvenue aux stagiaires que nous sommes, la municipalité de Bosa organise une soirée de présentation de l’opération (car ce stage, intitulé l‘arte-di-vivere-in-viaggio réunit chanteurs, danseurs, et adeptes du shiatsu, dans une tentative courageuse de faire vivre au présent une culture italienne laminée par les années Berlusconi, et la vision libérale du gouvernement Monti). Et sous la voûte du Chiostro (le cloître), s’avancent quatre chanteurs, les mains dans les poches, et … le miracle se produit:
Héritiers d’une tradition populaire encore très vivace -il ya encore des centaines de groupes en Sardaigne, au répertoire mixte: chant profane pour les fêtes, chant sacré pour les offices-, les quatre du Coro su traggiu ‘osinku perpétue la pratique du chant alla bosana qui vous tire les larmes du premier accord au dernier… Pas de place pour l’ego dans cette polyphonie « serrée »: le bassu (qui donne quelques fois l’intonation), chante la fondamentale, le contra (un baryton), chante la quinte, le boghe redouble la fondamentalme à l’octave, tandis que le contralto vient compléter l’accord sur une dizième. Un ambitus assez restreint donc, mais qui permet d’obtenir, par empilement des harmoniques, et tressage vertical de la polyphonie une richesse de timbre assez incroyable. Ca vous met les poils, quoi! Dans ce chant alla bosana on ne recherche pas, comme à Castelsardo la célèbre quintina, une cinquième voix (celle de la Vierge!), obtenue par le traitement des harmoniques (lire à ce sujet ce passionnant article cosigné du maître acousticien Gilles Léothaud). Après ce choc, qui nous laisse sans voix, l’inévitable repas commun au resto, au cours duquel nous partageons, avec Gigi Oliva, Mario, et les autres, notre passion du chant! Et avant de se quitter, ils nous invitent à leur répétition du vendredi. Mais ça ce sera l’objet d’un prochain article…